Confidences d’une sport-addict, « le sport peut devenir notre pire ennemi »
Personne ne conteste le fait que le sport est bon pour la santé. Mais pratiqué à haute dose, il peut devenir une drogue aussi addictive que l’alcool ou la cocaïne. C’est le témoignage sincère et bouleversant que nous livre Servane Heudiard à travers son ouvrage, « Bigorexie : le sport, ma prison sans barreaux » aux éditions Amphora.
« Ce livre, je ne l’ai pas écrit pour moi, mais pour les autres. Pour les aider » précise d’entrée Servane Heudiard, une sport-addict de 48 ans qui ne peut s’empêcher encore aujourd’hui de faire plus de cinq heures d’efforts par jour, essentiellement du vélo et de l’aviron, tout en exerçant en freelance son métier de traductrice relectrice.
« Plus forte face aux épreuves de la vie… grâce au sport »
Pour cette femme célibataire sans enfants, le sport a toujours régi sa vie. De sa Normandie natale aux Vosges de son enfance, c’est une vraie « pile électrique ». Mal dans son corps, « sur la défensive », l’activité physique lui sert de refuge et de béquille. Vélo, ski, équitation, tennis, course à pied…l’adolescente, fille d’enseignants, multiplie les expériences sportives et les bonnes notes à l’école.
Etudiante parisienne « déterminée et énergique » mais « souffrant du regard des autres », elle prend rapidement ses marques. Son vélo n’est jamais loin. Sa bigorexie (de l’adjectif anglais big et du suffixe grec orexis, appétit) est en marche. Aussi redoutable que l’alcool, le tabac ou l’héroïne, elle ne la quittera plus.
Peu de temps après son premier emploi de traductrice, Servane, 1m64 pour 55 kg, s’initie à l’aviron dans le Val-de-Marne. Ça lui plait. Depuis une grande partie de son existence tourne autour de cette discipline qui la « consolide psychologiquement et la rend plus forte face aux épreuves de la vie ».
Des comportements déraisonnables et destructeurs
Qu’on se le dise, le sport permet de se sentir en vie, « il ne m’apporte que des côtés bénéfiques, un bien-être euphorisant » affirme l’auteure. A une exception près, « quand le facteur risque entre en jeu ». Et la jeune femme va le payer au prix fort. Alors que depuis plusieurs années elle effectue quotidiennement entre 6h00 et 6h30 de sport en extérieur, elle est victime de trois graves accidents de vélo la condamnant à l’inactivité durant de longues journées d’hospitalisation. Des moments propices à la réflexion aussi.
Son dernier accident fin 2018 (double fracture du col du fémur) suivi d’une lente rééducation ne l’a fait pas céder au découragement. Elle reprend progressivement le vélo (minimum 110 km par jour, route et/ou VTT) et l’aviron. Simplement Servane est devenue une bigorexique « plus raisonnable ».
Cinq heures de sport par jour, « 363 jours sur 365 »
Nullement sevrée de son « joint psychologique », l’auteure, qui réside à proximité du bois de Vincennes, effectue ses cinq heures de sport par jour, « 363 jours sur 365 ». « Je pars entre 5h00 et 6h00 du matin pour une séance de vélo de deux ou trois heures. Ensuite je rentre chez moi et je bosse. L’après-midi je repars pour une séance d’environ deux heures » explique celle qui est désormais « sur la voie de la raison ». Exemple, « hier (le 12 mars, veille de l’entretien), il y avait beaucoup de vent et de pluie sur l’Ile-de-France, je me suis dit que c’était trop dangereux. Je suis donc restée à la maison. En remplacement de ma sortie VTT, j’ai fait une séance de home-trainer ».
Qu’on ne s’y méprenne pas, le sport demeure pour Servane Heudiard « la seule chose qui (la) détende, (la) défoule et (la) divertisse autant », et qui dans le même temps lui permet d’oublier la femme peu sûre d’elle-même. Ayant « super mal vécu le premier confinement » (Ndlr : du 17 mars au 11 mai), Servane éprouve toujours la crainte d’être à nouveau « enfermée ». C’est pour cela qu’elle vit chaque week-end intensément quitte à rajouter une demi-heure d’activité physique supplémentaire, « j’ai encore assez d’énergie pour cela » au cas où nous serions à nouveau cloîtrés. Mais comme elle l’écrit, « sans aller jusqu’à l’épuisement ».
« Le plaisir doit l’emporter sur la contrainte »
Aujourd’hui, l’âge aidant et ayant acquis une certaine sagesse, elle veut que son témoignage serve pour les autres. Faire prendre conscience aux bigorexiques que « ce qui est dangereux ce n’est pas le sport mais la manière dont on en fait avec cette notion de danger ». « On ne choisit pas de devenir bigorexique, alors soyez indulgent avec votre mari, votre fille ou votre cousin s’il ou elle est sport-addict » écrit Servane Heudiard qui via son livre autobiographique dispense de précieux conseils. Avec un leitmotiv, « l’aspect plaisir doit toujours l’emporter sur l’aspect contrainte ».
Nombreux sont les bigorexiques qui sont dans le déni ou choisissent de ne rien dire. « Vous savez très peu de personnes dans mon entourage sont au courant de ce livre. J’ai peur qu’ils ne me croient pas et me prennent pour une dingue » avoue Servane qui en s’adressant directement aux sport-addicts et à ceux qui les fréquentent veut absolument éviter que leur addiction ne devienne destructrice. Un livre extrêmement fort et qui touche au corps et au cœur.
*Même s’il existe peu d’études sur la question, on estime que 15% des sportifs, amateurs et professionnels confondus, seraient bigorexiques. Cette pathologie appelée parfois aussi sportoolisme est depuis 2011 officiellement reconnue par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), au même titre que les dépendances à l’alcool, les jeux d’argent ou les jeux vidéo.
En France, le footballeur aujourd’hui consultant Bixente Lizarazu est l’une des rares célébrités à avoir avoué sa bigorexie, « le sport est ma passion, j’ai trouvé mon équilibre comme ça (…), ça a été ma boussole toute ma vie ».
« Bigorexie – Le sport, ma prison sans barreaux – »
Par Servane Heudiard
Sortie le 25 mars aux Editions Amphora
224 pages, 17,50 euros