Le sport est dans « une situation cataclysmique »
Hier soir mercredi 24 mars était organisé au Sénat un débat sur le thème « Quelle perspective de reprise pour une pratique sportive populaire et accessible à tous ? ». L’occasion pour les intervenants de rappeler les vertus bienfaitrices du sport mais aussi de pointer « les insuffisances du gouvernement » pour répondre à la crise.
Il n’y avait pas grand monde dans l’hémicycle du Sénat pour aborder la thématique du sport, à l’initiative du groupe communiste républicain citoyen et écologiste (CRCE). Dommage. Car comme l’affirme Marie Evrard, sénatrice de l’Yonne, « le monde sportif est sans doute le secteur dont on entend le moins parler depuis le 17 mars 2020 (Ndlr : date du début du premier confinement) alors qu’il traverse la crise la plus importante de son histoire ».
« 180 000 clubs en souffrance, 80% de troubles psy chez les moins de 15 ans »
Pour Jérémy Bacchi, sénateur des Bouches-du-Rhône, « la situation est cataclysmique » Alors que le sport fait partie de ces « outils essentiels à la République émancipatrice », il ne s’étonne pas que « la fermeture de lieux sportifs entraine une augmentation de 80% des troubles psy chez les jeunes de moins de 15 ans ». Inquiet, l’élu cite aussi l’exemple d’une commune des quartiers Nord de Marseille qui voit ses locaux sportifs occupés par des dealers, « les bénévoles ne savent pas s’ils partiront une fois l’activité sportive relancée » précise-t-il.
Un des effets néfastes de la crise sanitaire sur le sport concerne aussi la baisse drastique du nombre de licenciés, estimée à 30% en octobre dernier, soit un manque à gagner de « quelque 260 millions d’euros en termes de cotisations ». « Aujourd’hui, indique Jérémy Bacchi, « ce sont 180 000 clubs et 108 fédérations qui sont en souffrance. Il y a plus de 70 000 structures qui craignent de ne plus jamais pouvoir rouvrir ». Complétant son argumentaire, l’élu buccorhodanien évoque aussi « les 120 millions d’euros de pertes liées aux recettes des évènements et du sponsoring ».
Le ministère des Sports, seulement 0,14% du budget de l’Etat
Pour le sénateur des Bouches-du-Rhône comme pour la plupart des intervenants lors de ce débat, « les mesures prises par le gouvernement pour répondre à la crise ne sont pas satisfaisantes ». Symbole et « effet indésirable, le rattachement du ministère des Sports à celui de l’Education nationale » relève l’élu. Comment en effet démocratiser la pratique du sport alors que le budget du ministère ne représente que « 0,14% du budget de l’Etat » observe le sénateur du Tarn Philippe Folliot qui voudrait « qu’on donne aux acteurs locaux la possibilité d’adopter un certain nombre de règles nationales afin de favoriser la reprise de l’activité physique le plus rapidement possible ». Et l’élu de citer l’écrivain Jean Giraudoux, selon lequel « il y a des épidémies de tout ordre et le goût du sport est une épidémie de santé ». « Puisse cette épidémie de santé durer le plus longtemps possible » déclare Philippe Folliot.
Plusieurs sénateurs ont également insisté sur la différence de traitement entre le sport professionnel, générateur de business, et le sport amateur, plus ou moins abandonné. « Comment comprendre qu’il y a quelques heures (Ndlr : le 24 mars) la Fédération Française de Football arrêtent les compétitions départementales et régionales alors que dans le même temps débutent les éliminatoires de la Coupe du Monde 2022 » s’interroge Céline Brulin, sénatrice de la Seine-Maritime qui veut elle aussi que l’on créée rapidement « les conditions de la reprise dans le respect des règles sanitaires ».
Les jeunes en première ligne
Car le sport amateur souffre, et « nombreux sont les clubs qui craignent un désengagement des bénévoles qui sont la ressource clé de ces structures » souligne Michel Savin, député de l’Isère. Le mal est profond. Jason Lorcher, ancien hockeyeur de haut niveau à Rouen, est à l’origine du groupe « Les sportifs en détresse » sur les réseaux sociaux. « Jeunes, adultes, bénévoles, dirigeants de clubs… ils sont plus de 30 000 à témoigner des méfaits de l’interruption de l’activité physique et à demander la reprise du sport amateur » souligne Céline Brulin.
Le sport ne doit pas être un problème mais une solution. Un besoin vital, bon pour la santé. Au Sénat, plusieurs parlementaires ont rappelé la phrase du professeur en physiologie cardiovasculaire François Carré selon laquelle « si je bouge, j’ai moins de risques d’être touché par la Covid, et si je le suis, j’ai moins de risques de développer une forme grave » prononcée dans le même hémicycle il y a un peu plus de deux mois.
Dans ce contexte difficile et anxiogène, « ce sont les jeunes qui sont en première ligne de cette démoralisation de masse quand la vie sociale n’est plus possible » explique le sénateur du Bas-Rhin Claude Kern car « dans la vie d’un jeune, une année compte bien plus qu’une seule année ». Jean-Jacques Lozach, sénateur de la Creuse, rapporte qu’une enquête réalisée par l’Association européenne des professeurs d’éducation physique montre que « 40% des élèves présentent une augmentation de leur masse graisseuse, et une diminution de 16% de leurs capacité aérobie ». Affligeant. La solution, « de la maternelle à l’université, augmenter le nombre d’heures d’EPS » indique le sénateur. Thomas Dessous, sénateur écologiste du Rhône encourage la « pratique autonome et sécurisée du vélo dans l’espace public ».
Un droit d’accès au sport comme à la santé ou la sécurité
« Comme il y a un droit d’accès à la santé, l’éducation ou la sécurité, il doit y avoir un droit d’accès au sport » souligne Jean-Jacques Lozach. Pourquoi, parce qu’il « renforce la cohésion sociale et évite les dérives populistes qui menacent notre société » ajoute-t-il. D’où la nécessité d’une reprise rapide. « Le Collectif évènementiel sportif outdoor (CESO) propose des expérimentations adaptées, accompagnons-les » martèle Anne Ventalon, sénatrice de l’Ardèche. Cyril Pellevat, sénateur de la Haute-Savoie, ne veut surtout pas oublier la pratique en indoor, « plus de 300 salles de sport ont déjà déposé le bilan ». Il rappelle que « si le sport sans masque en milieu fermé favorise la propagation du virus, une pratique sportive en intérieur avec masque, distanciation et aération présente très peu de risques ». Il demande à Roxana Maracineanu, ministre chargée des Sports, si elle a l’intention de « défendre la réouverture des salles de sport dans les départements où le virus circule peu ».
Plus que d’augmenter le nombre de pratiquants de 3 millions d’ici 2024 comme l’a souhaité le président de la République Emmanuel Macron au début de son mandat, il s’agit désormais de « retrouver la situation d’avant Covid ». « En cette période de crise, les sports amateurs et professionnels ressemblent de plus en plus à un champ de ruine. Si cette situation est catastrophique, elle offre l’opportunité de repartir sur de bonnes bases » affirme Jérémy Bacchi.
Suite aux différentes interventions qui préfigurent la discussion sénatoriale à venir sur la proposition de loi de la députée Céline Calvez, députée des Hauts-de-Seine, visant à démocratiser le sport en France, Roxana Maracineanu n’a pas répondu directement aux questions des sénateurs. « Ravie » de ce débat thématique autour du sport, elle a néanmoins voulu affirmer « la relation renouvelée entre le monde fédéral, le sport amateur et le sport professionnel ». « Malgré la crise, a-t-elle poursuivi, nous devons être à la hauteur des deux grands évènements que nous allons accueillir, la Coupe du Monde de Rugby 2023, et les Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 ». Raison pour laquelle la ministre « privilégie la pratique sportive de ceux dont c’est le métier ». Parmi les cibles prioritaires, le ministère s’évertue aussi « d’aider les organisateurs d’évènements sportifs en les accompagnant et leur proposant des protocoles ». L’accent est également mis sur « le sport bon pour la santé ». « Et puis, ajoute Roxana Maracineanu, « nous comptons beaucoup sur le masque pour une reprise du sport en intérieur, que ce soit pour les adultes ou les enfants ».
Ayant listé les différentes aides allouées aux entreprises et associations, la ministre a rappelé son souhait de vouloir « travailler main dans la main avec les collectivités ». Avant d’ajouter que le gouvernement sera là « tant qu’il faudra pour soutenir le sport amateur et ses structures associatives ». « Il faut encourager la pratique sportive dans ces moments de difficulté. C’est ce que nous faisons en collaboration avec les territoires, avec le mouvement sportif et avec toutes les entreprises qui sont aussi convaincues que le sport est essentiel pour le bien-être physique et psychologique des français » conclut Roxana Maracineanu.