Dix « Perdants magnifiques » passés à la postérité
C’est sans doute parce qu’il éprouve « un intérêt pour des sportifs différents » que Xavier Garcia, maître de conférences associé à l’Université Côte d’Azur, s’est penché sur le destin de dix champions d’exception. De René Vietto à Thibaut Pinot, des cyclistes – mais pas que – qui se sont « inclinés avec panache ». Des « Perdants magnifiques » (Editions Solar) que l’on oubliera jamais et que l’auteur nous relate ici avec talent et émotion.
Petit, parce que blond avec des lunettes et souvent sur un vélo, Xavier Garcia était surnommé Fignon. Un Laurent Fignon dont il était fan et qui perd le Tour 1989 pour… huit secondes face à Greg LeMond. « J’ai trouvé qu’il y avait beaucoup plus de beauté dans cette défaite que dans ses deux victoires sur la Grande Boucle en 1983 et 1984 » souligne l’auteur. Si cette « injustice » est évoquée dans l’introduction de son ouvrage, Xavier Garcia ne consacre pourtant pas un portrait au coureur parisien. « Il avait déjà gagné et puis beaucoup de cyclistes étaient déjà prévus dans le livre (quatre sur dix) » se justifie-t-il.
Le cyclisme, « le plus gros contingent des héros déchus »
D’ailleurs, il aurait pu consacrer ses « Perdants magnifiques » aux seuls champions cyclistes. « C’est un sport tellement démesuré, tellement extrême mais je voulais aussi aborder d’autres disciplines » déclare Xavier Garcia naguère champion départemental de tennis de table. La couverture du livre, c’est néanmoins le tout jeune retraité de la Groupama-FDJ Thibaut Pinot, son « chouchou », qui la décroche. « Pinot, c’est une anomalie du sport moderne. À l’ère de la professionnalisation, régulée par la publicité, le marketing, le média-training et les réseaux sociaux, il dit ce qui lui passe par la tête. Il ne cache pas ses sentiments, ses émotions. Il court selon ses propres règles, c’est pour cela que je me suis beaucoup attaché à lui » analyse Xavier Garcia qui était présent l’été dernier dans les Vosges, au cœur du spectaculaire et très émouvant « virage Pinot », pour l’une des dernières envolées du Français sur le Tour.
Sur ses dix portraits, huit hommes et (seulement) deux femmes. La nageuse américaine des années 70 Shirley Babashoff, « qui aurait dû être l’égal de Mark Spitz, le nageur septuple médaillé d’or aux Jeux Olympiques de Munich » ; et la coureuse de fond aux pieds nus sud-africaine Zola Budd qui s’est livré un duel homérique avec l’américaine Mary Decker lors des Jeux de Los Angeles en 1984, « il est rentré dans la légende du sport avant même que la course se termine ». Des femmes, l’auteur en avait d’autres en tête comme la championne de tennis Gabriela Sabatini ou la sprinteuse jamaïcaine (naturalisée slovène) Merlene Ottey, « deux beautés entourées d’un halo de mystère et qui malheureusement ne se livrent pas ».
Des perdants attachants avec leurs destins contrariés
Si Xavier Garcia focalise sur des destins contrariés, il s’intéresse avant tout à des perdants attachants. Outre Thibaut Pinot, il cite volontiers René Vietto, « le roi maudit » dans les années 30 et 40, et Luis Ocana, « champion hors norme, foudroyé dans sa plénitude » alors qu’il rivalisait avec Eddy Merckx sur le Tour 1971. « Ils étaient des fous furieux de la vie comme sur le vélo » affirme l’auteur qui vit aujourd’hui à Nice, « à 500 mètres du fils de… René Vietto ». Un René Vietto dont on apprend qu’il fût l’inventeur du double plateau et le premier à s’intéresser à ce qu’on appelle aujourd’hui les « gains marginaux ». « Il découpait au couteau le cuir superflu de sa selle. Il perforait ses chaussures à la chignole pour permettre une meilleure aération par temps chaud et l’écoulement de l’eau en cas de pluie. Pour plus de stabilité en descente, il plaçait son bidon sur le cadre et non pas sur le guidon comme s’obstineront à le faire les autres coureurs jusqu’à la fin des années quarante » écrit Xavier Garcia.
« Le sport constitue un point de départ fantastique pour narrer des destinées extraordinaires ». Xavier Garcia l’a bien compris et il le fait très bien. Ses champions sont classés en trois grandes familles : les maudits (René Vietto, Shirley Babashoff, Luis Ocana), les bienheureux (Vitas Gerulaitis, Socrates et le Brésil 82, Raymond Poulidor, Jean Van de Velde) et les tourmentés (Thomas Hearns, Zola Budd, Thibaut Pinot). Avec pour dénominateur commun le fait qu’ils « appartiennent tous à la race des perdants magnifiques ». « L’impact de la défaite m’a toujours fasciné, qu’il soit dévastateur ou au contraire qu’il fasse ressortir le meilleur du champion et du public » poursuit Xavier Garcia qui cite en exemple le golfeur français Jean Van de Velde, hyper malchanceux, mais dont « le nom reste pour toujours associé au British Open 1999 » au point que le vainqueur de l’épreuve cette année-là (Paul Lawrie) « n’a jamais réussi à se sentir champion à part entière ». De même Raymond Poulidor, « l’éternel second », aurait-il eu la même popularité s’il avait endossé le Maillot Jaune et/ou gagné le Tour de France, pas sûr !
Des marqueurs de nos propres vies
Son livre, Xavier Garcia a pris le temps de l’écrire. Deux ans et demi. Obsessionnel, il a effectué des recherches pour chaque portrait comme s’il en faisait pour un livre entier. Lorsque c’était possible, il est entré en contact avec les champions, leur famille ou leur descendance. Le résultat est à la hauteur de l’investissement et du temps passé. On replonge dans l’histoire du sport et même plus. Parfois des souvenirs anciens ou enfouis rejaillissent. On revit des émotions, certaines ayant même été des marqueurs de nos propres vies. Il y a toute une France qui n’a rien oublié de Séville 1982. « La marque est indélébile et, à la moindre image, toutes les émotions ressurgissent, intactes… » écrit l’auteur qui avait sept ans à l’époque. En fait il y a quelque chose d’agréable, parfois même jubilatoire, de revivre ces grands moments de sport par écriture interposée.
Car au final qu’est-ce qui compte ? Plus que la performance sportive ou les lignes sur un palmarès, ne retient-on pas plutôt les émotions véhiculées, celles qui résistent à l’usure du temps. Xavier Garcia a fait son (bon) choix. « Car les perdants renvoient aussi à nos échecs, nos limites, nos occasions manquées » déclare-t-il. En effet, s’il semble selon lui « difficile de s’identifier à Max Verstappen ou au Real de Madrid », on a tous en nous quelque chose de Thibaut Pinot ou Raymond Poulidor.
Une « poésie dans la défaite » que l’auteur nous transmet avec brio et passion. Alors célébrons avec lui « ces glorieux losers sans lesquels le sport n’aurait pas la même saveur, ces sublimes défaites sans lesquelles la victoire n’aurait pas de sens ».
« Les Perdants magnifiques »
Par Xavier Garcia
Aux éditions Solar
Paru le 5 octobre 2023
304 pages – 17,90 euros