La géographie du football en émoi
Si la Bourse s’est emballée pour le projet de « Super League », moi pas. Cette compétition limitée à 20 grands clubs fortunés qui voulait remplacer l’actuelle Ligue des Champions ne me fait pas rêver. Voici pourquoi.
Exception faite de mes toutes premières années, jusqu’à mes 15 ans et l’arrivée du décodeur de Canal+, je ne n’ai manqué aucun match de foot à la télévision. Les épopées européennes de Saint-Etienne, Nantes, Bastia ou Sochaux me rendaient fou de joie. Fou de rage aussi. Triste souvent lorsque ces clubs perdaient. Je n’étais pas au stade mais c’est tout comme.
Par écran interposé, je voyageais. Parti pendant 90 minutes à Ipswich Town, au Dynamo Tbilissi, au Servette de Genève. En mission à l’Eintracht Francfort, au CSKA Sofia ou à l’AZ Alkmaar. Projeté dans la froideur de Videoton, Dniepropetrovsk, Mönchengladbach. Des noms quasis impossibles à orthographier mais qui permettaient d’affiner mes connaissances géographiques sur le Vieux Continent. Certaines villes ne sont d’ailleurs connues que par leur seul club de foot. Je trouve cela formidable.
Ce que c’était sympa ces luttes entre petits et gros sur le terrain. Parce que parfois c’est le petit qui gagnait. A l’image du FC Metz qui s’en alla planter quatre pions au FC Barcelone dans son antre du Camp Nou un soir de 1984. Malheureusement le match n’était pas diffusé à la télévision. Dans ces cas-là, c’est la radio qui prend le relais. Sinon, les livres et magazines qui permettent de s’évader sur la planète foot.
Le charme du petit qui bat le gros
D’enfants aux yeux écarquillés devant leur écran, les supporteurs sont devenus de grands voyageurs. Et plus il y a d’équipes, plus cela offre d’opportunités de voyager. Notamment pour les fans des « petits clubs ». Songez déjà qu’en 1977, 15 000 Bastiais se sont rendus dans le Piémont pour encourager Johnny Rep et les siens vaincre le Torino en huitièmes de finale de la coupe UEFA. Ils sont encore 4 000 à Iéna (ex RDA) au tour suivant. Comme ça jusqu’à la finale qu’ils vont perdre 1-0 contre le PSV Eindhoven.
Avec l’avènement des low cost et des RTT, tout est devenu plus facile en termes de déplacements. Grâce aux matches de coupe d’Europe, les supporteurs ont acquis de bonnes connaissances sur la géographie du Vieux Continent. Ils maitrisent le patronyme des joueurs suédois, islandais ou croates. Ils connaissent les bons plans et les attraits de chaque ville. Comme l’indique un journaliste suisse du Temps, pas la peine de leur apprendre que le Douro coule au Portugal, le Tibre en Italie ou que la Mersey traverse la ville de Liverpool, ils le savent. Mieux qu’à l’école.
Les supporteurs connaissent leur géographie
Alors si un jour la Ligue des Champions venait à disparaitre au profit de cette Super League entre clubs argentés, que va-t-il rester du charme de ces oppositions entre petits et gros. De cette glorieuse incertitude du sport qui nous fait tant vibrer. Atlético Madrid – RC Salzburg, fini. Real – Chakhtar terminé. Man City – Olympiakos, au rang des oubliettes. Les très riches d’un côté, les autres à la marge. Sans vouloir sombrer dans le c’était mieux avant, on ne peut se résoudre à accepter ça. Il en va de l’histoire du foot et de ses supporteurs. Devant le mécontentement et sous la pression de ces derniers, le projet de Super League est pour l’instant mis entre parenthèses. Ouf.
Mais pour se faire contrer dans son dos, l’UEFA ne s’est-elle pas montrée trop arrogante. Trop sûre d’elle en restant drapée dans une vision purement mercantile des choses. En décidant sans l’aval des supporteurs qui je le répète font l’histoire de ce sport. De ces supporteurs qu’on maltraite et qu’on oblige à multiplier les abonnements télé pour suivre les matches. Qu’on ne s’étonne pas de les voir se tourner de plus en plus vers le piratage. Le football, sport populaire, pas sport business.
D’où qu’ils viennent, ces grands manitous du football qui décident de tout ne doivent pas faire n’importe quoi. On le perçoit déjà avec la prochaine Coupe du Monde qui doit se tenir au Qatar l’an prochain. D’abord prévu en été dans des stades climatisés, l’évènement se déroulera finalement en hiver, du 21 novembre au 18 décembre. Un non-sens à mes yeux dans un pays qui ne respire pas le football. Il y a la géographie, mais n’oublions pas l’histoire.
*Après les défections des clubs les uns après les autres, la Juventus de Turin, à l’origine du projet de « Super League » admet officiellement que celui-ci est terminé.