Poker, « le sport le plus violent assis qu’on puisse pratiquer »

Suite au succès de la première édition l’an dernier à Paris, l’European Poker Tour(EPT) revient cette année dans la capitale française. En partenariat avec le Club Barrière, le PokerStars European Poker Tour Paris (EPT Paris) se déroule jusqu’au 25 février au Palais des Congrès. Avec une affluence record. Immersion dans un univers fascinant et finalement accessible au plus grand nombre.

L’image est aussi saisissante que le bruit est évocateur. Dans les salles du Palais des Congrès de Paris des dizaines de tables avec tout autour des centaines de joueurs affairés qui triturent leurs jetons durant des heures. Symphonie pour un (futur) champion. Croupiers en tête, un staff hautement qualifié de plus de 350 personnes (hors sécurité) est également mobilisé pour cet évènement d’envergure. Un immense plateau TV avec caméras motorisées donne aussi la mesure de ce tournoi.

Près de 2 000 entrants sur le Main Event

Le PokerStars European Poker Tour Paris, l’EPT Paris pour faire simple, draine les meilleurs joueurs de la planète. Le Main Event (évènement principal) avec un buy-in (prix d’entrée par participant) de 5 300 euros a enregistré une affluence record de 1 747 entrants (1 606 l’an dernier) pour un prizepool (ensemble des gains accordés aux joueurs terminant aux meilleures places) cumulé de 8 385 600 euros. Impressionnant ! Qu’on se le dise aussi tout de suite, le « parler poker » est truffé d’anglicismes mais à la longue on finit par s’y faire.

Des battements de cœur mesurés à 150 pulsations par minute

C’est la deuxième année que l’European Poker Tour, l’EPT donc, fait étape à Paris. Une belle vitrine pour la promotion de ce sport en France. Sport ? Oui car c’en est un. C’est même « le sport le plus violent assis qu’on puisse pratiquer » affirment tout de go le duo Benny & Yu (Benjamin Bruneteaux et Julien Brecard – voir ci-dessous), ambassadeurs PokerStars, et qui commentent en français (sur YouTube et Twitch) les phases finales du tournoi. « Le poker fournit énormément d’adrénaline, c’est d’ailleurs ce que recherchent beaucoup d’anciens sportifs de haut niveau à l’issue de leur carrière » souligne Benjamin Bruneteaux. Citons par exemple le tennisman Boris Becker, ou les footballeurs internationaux Vikash Dhorasoo et Bernard Mendy (voir notre interview ici). Les émotions sont telles que « des battements de cœur à 150 pulsations minute » ont été enregistrés à l’aide de capteurs posés sur certains joueurs. Une manière aussi de montrer toute l’intensité de ce sport régi par ses codes et ses « stars ».

Remporter l’EPT, c’est « comme gagner la Ligue des Champions en football »

Au Palais des Congrès de Paris, amateurs et professionnels misent et espèrent constituer la meilleure main (combinaison de cinq cartes). C’est le Texas hold’em, la variante la plus pratiquée dans le monde aujourd’hui qui a cours (voir ci-dessous le tuto de Benny). Tous rêvent secrètement de remporter l’EPT Paris. « Jouer sur les tables EPT, avec les croupiers EPT, les jetons EPT, c’est quelque chose de magique pour la plupart des participants » résume Julien Brecard qui estime que gagner un tournoi EPT, « c’est un peu comme si l’on remportait la Ligue des Champions en football ».

« Les mecs du poker, ça va à la salle. Ils font attention à leur nutrition, leur sommeil »

À celles et ceux qui n’y connaissent pas grand-chose au poker, il faut sortir tout de suite des clichés. Fini le stéréotype des arrières salles enfumées avec des types à la mine patibulaire. Jeu de hasard naguère frappé d’une réputation sulfureuse, le poker est devenu un sport cérébral, extrêmement tactique et stratégique avec des joueurs préparés et parfois même surentrainés. « Aujourd’hui les mecs du poker, ça va à la salle. Ils font attention à leur nutrition, leur sommeil » affirme Benjamin Bruneteaux rappelant que certains joueurs « restent à la table, dix douze heures, t’imagines alors la concentration qu’il faut avoir ».

Autour des tables, très peu de femmes. À l’EPT Paris, les pratiquants, environ 70% d’étrangers en provenance des cinq continents, sont plutôt jeunes (moins de quarante ans) avec des looks parfois surprenants. Des tatouages de cartes sur les avants bras, voire une coupe de cheveux déclinant les différentes couleurs des cartes à jouer. Vestimentairement les joueurs sont en mode décontracté, baskets, casquettes et survêts à capuche. Le sweet aux couleurs de l’évènement semble apprécié à la boutique.

Sweets à capuche et lunettes de soleil

Pas mal de participants arborent aussi des lunettes de soleil. Un accessoire pour éviter que les adversaires ne décèlent quoi que ce soit dans l’expression du visage. D’ailleurs, tous les joueurs ont des « tells » (indices révélant son comportement à une table) que l’autre s’efforcera de décoder. Eh oui au poker le bluff fait partie du jeu. Attitude impassible, regard d’acier, allure exubérante, introverti ou extraverti, c’est chacun son style. En cours de game, des joueurs écoutent leur musique, mangent et même suivent une série sur leur smartphone. Rappelons-le, sur un évènement live les parties peuvent être très longues.

« Les joueurs » avec Matt Damon, « le film à regarder »

La sortie fin des années 90 du film « Les joueurs » avec Matt Damon agit comme un déclencheur auprès de nombreuses personnes. « Si vous n’avez jamais regardé un film sur le poker, c’est vraiment le film à regarder » indique Benjamin Bruneteaux. Internet fait aussi beaucoup pour la pratique. Le jeu s’engouffre alors dans le quotidien de millions de joueurs aux quatre coins du monde.

Internet et Patrick Bruel, détonateurs du poker en France

En France, l’apparition au milieu des années 2000 des premières émissions de télévision, avec notamment au commentaire l’acteur – chanteur Patrick Bruel, aide grandement à « faire comprendre la folie de ce jeu ». À partir de 2010 la législation autorisant les joueurs à parier en ligne sur Internet participe encore plus à la démocratisation du poker en France. « À cette époque, au bureau, entre copains, un peu partout, c’était devenu très tendance de faire des parties de poker » commente Benny parlant d’un pic « d’un million de joueurs » recensés dans l’Hexagone. Disposant des infrastructures idoines, la France abrite jusqu’à quatre grands tournois d’envergure internationale : Paris, Enghien-les-Bains, Deauville et Cannes.

« Entre 300 000 et 400 000 joueurs en France »

Le phénomène poker dans la métropole s’atténue au milieu des années 2010. Il se déplace vers les pays de l’Est. Essaime en Asie, en Corée et au Japon notamment, et touche aussi l’Amérique du Sud. « Les Brésiliens sont dingues de ce jeu » assure Julien Brecard. Le footballeur Neymar y est bien sûr pour quelque chose. Joueur invétéré, ambassadeur PokerStars, celui-ci était d’ailleurs présent sur l’EPT Paris l’an dernier. Boosté par Internet, le poker en France connait un nouvel engouement à la faveur du confinement. En ligne ou live, « on estime aujourd’hui le nombre de joueurs entre 300 000 et 400 000 » déclare encore Benjamin Bruneteaux.

Qualifié pour le grand tournoi final avec seulement 10 euros

Se déroulant sur deux semaines et jusqu’au 25 février, l’EPT Paris sponsorisé par PokerStars programme 46 tournois avec des droits d’entrée allant de 250 à 50 000 euros. Parmi ces compétitions le France Poker Series (FPS), plus de 4 100 entrants cette année, qui donne la possibilité à certains amateurs d’accéder au tableau final, et donc au Main Event. C’est ce qui est arrivé à Noa Chan (voir ci-dessous), vainqueur du parcours de qualification Power Path. « Je suis rentré à 18h00 avec 10 euros, à 23h00 j’avais fini, j’étais qualifié » raconte l’intéressé. Au poker, il n’est pas rare que l’amateur batte le pro (environ 300 en France).

Une étape EPT, « c’est un tournoi que n’importe quel joueur espère accrocher à son palmarès. Tout le monde se bat pour le trophée » déclarent Benny & Yu. Depuis la création du circuit il y a vingt ans, il y a eu 142 vainqueurs (3 femmes) dont 12 Français. Le dernier en date est le Rochelais Simon Wiciak (nouveau membre du team PokersStars), lauréat du Main Event à Barcelone, empochant du même coup un chèque de plus de 1,1 million d’euros. À noter que le meilleur joueurs français en termes de gains – plus de 14 millions d’euros en 2023 – est Jean-Noël Thorel, 76 ans. Comme quoi on peut être avancé en âge et demeurer très performant.

« Ne pas mettre son compte bancaire à l’envers »

Considéré par Benjamin Bruneteaux comme « le plus beau jeu de stratégie qui puisse exister », le poker doit rester un plaisir, « si on n’en prend pas il faut arrêter ». Avec son complice Yu, il met régulièrement en alerte les pratiquants sur le fait qu’il ne faut pas dépenser trop d’argent, « ne pas mettre son compte bancaire à l’envers à cause du poker ». La règle est à priori simple, « quand on mise une somme, il faut partir du principe qu’on va la perdre, et que cela ne va pas nous impacter financièrement ». En moyenne, sur un tournoi, « 15% du temps, on va gagner de l’argent, c’est pas mal » admet tout de même le spécialiste.

Au même titre que Barcelone, Prague, Chypre ou Monte-Carlo, Paris s’impose désormais comme un haut-lieu du poker sur le circuit européen. « Paris est même en concurrence avec Barcelone pour devenir LA référence du circuit européen » affirme Benjamin Bruneteaux ravi aussi que « l’Etat commence à comprendre l’intérêt d’avoir ce type d’évènement », forcément bon pour le tourisme et l’économie de la Région.

Noa Chan : « Ne pas sacrifier son sommeil pour le poker »

Vainqueur du parcours de qualification Power Path avec un capital de départ de seulement 10 euros, le francilien Noa Chan, 21 ans, a décroché le droit de rêver en disputant son premier tournoi live sur l’EPT Paris. Une belle récompense pour ce barman, passionné de musique, qui ignorait tout de cette compétition il y a encore six mois. « À la base, j’aime les jeux d’argent » déclare-t-il. Etant de « la génération où tu as accès à tout dès lors que tu ouvres ton PC », Noa s’est perfectionné au poker grâce à YouTube. Son appétence pour les mathématiques l’aide aussi à progresser. Mais attention, il n’a pas l’intention de « sacrifier son sommeil pour le poker » et voir sa vie privée contrariée.

Admirateur de joueurs comme le français Simon Wiciak ou l’italien Mustapha Kanit, Noa Chan, qui confesse avoir connu quelques soucis avec l’addiction au jeu, met aussi en garde sur les dérives que peut engendrer une trop grande dépendance. « Je fais beaucoup de prévention autour de moi, car oui le jeu peut détruire des vies. Il n’y a pas que l’argent qui est en cause, il y a aussi l’isolement, la dépression, les conflits familiaux » affirme le jeune homme conscient aussi que le poker est peut-être un univers un peu plus préservé, « plus sain » que d’autres jeux en ligne. Sur l’EPT Paris, il compte bien « profiter, sans trop se mettre la pression » et poursuivre son rêve éveillé.

Benny & Yu, les voix sportives du poker en France

Copains sur les bancs de l’école au lycée à Courbevoie (Hauts-de-Seine), Benjamin Bruneteaux (Benny) et Julien Brecard (Yu) ne se sont finalement jamais quittés. Ayant pris de « plein fouet la folie du poker qui déferle sur le monde et la France dans les années 2003-2004 », ils décident de s’y consacrer pleinement. Véritable passionné de sport, Benjamin Bruneteaux devient Community Manager chez PokerStars.fr. De son côté, Julien Brecard dispute les plus beaux tournois du monde pendant ses années de joueur sponsorisé. Leur complicité et leur passion pour le jeu les propulsent comme commentateurs officiels sur des émissions de télévision (La Maison du Bluff, Le Grand Jeu, Direct Poker…). Leur style plait et accroche le téléspectateur. « Nous commentons le poker comme un sport » affirme Yu qui aime bien mettre en avant « des dynasties, des palmarès, faire des oppositions entre pays… ». Son compère Benny évoque aussi le côté endurant de l’exercice, « avec des commentaires qui peuvent débuter en début d’après-midi et s’éterniser jusqu’à 1 heure du matin ». Un peu en mode étape du Tour de France. « Sur l’EPT Paris, il y a des gens qui vont rester avec nous durant 70 heures » ajoute Benny.

Depuis plus de dix ans, Benny & Yu sont les figures incontournables de la scène poker en France. Ambassadeurs PokerStars, les deux quadras assurent de nombreux streams en ligne (sur YouTube et Twitch). « Nous couvrons toutes les dates de la tournée EPT. Nous avons une chance incroyable. Beaucoup de fans aimeraient être à notre place » confie Julien Brecard.

EPT Paris, and the winner is…

Le Main Event à 5 300 euros a sacré le Britannique Barny Boatman pour un gain de 1 287 800 euros sur un field record de 1 747 entrants.

Le festival EPT Paris 2024 s’est achevé par la victoire d’une légende du poker, celle du Britannique Barny Boatman. 26 ans après sa première place payée, il enregistre son plus gros gain en carrière et son premier à 7 chiffres. « J’ai eu beaucoup de chance dans le jeu à 3 restants, mes adversaires étaient très forts aujourd’hui, a déclaré le vétéran, très ému au moment de soulever le trophée. C’est un tournoi fantastique, surtout quand tout se passe bien sur plusieurs jours. Cela ne semble pas réel, c’est de loin mon plus beau résultat au poker ».

Le Britannique, co-fondateur de Hendon Mob, dépasse ainsi les 5 millions de dollars de gains en carrière live et ce trophée vient récompenser une longévité de plusieurs décennies. À 68 ans, il devient le plus vieux vainqueur EPT de l’histoire et le 18e Britannique à empocher ce titre (19ème trophée après le doublé de Victoria Coren Michell).

Résultats Table finale Main Event EPT Paris 2024

Vainqueur Barny Boatman (Royaume-Uni) 1 287 800 euros.
Runner-up : David Kaufmann (Allemagne) 804 750 euros.
– 3ème : Aleksejs Ponakovs (Lettonie) 574 850 euros.
– 4ème : Owen Dodd (Royaume-Uni) 442 150 euros.
– 5ème : Peter Jorgne (Suède) 340 100 euros.
– 6ème : Eric Afriat (Canada) 261 650 euros.
– 7ème : Amichai Barer (Canada) 201 250 euros.
– 8ème : Lorenzo Arduini (Italie) 154 800 euros.
– 9ème : Sindre Hansen (Norvège) 119 100 euros.